Perception
Chacun voit midi à sa porte.Ce qu'il y a d'embêtant dans la morale c'est que c'est toujours la morale des autres. Cette immersion dans un temps court au côté des élèves nous fait constater que des sujets sur lesquels nous avions mis l'accent ces dernières années à travers la pratique artistique
sont en régression: à nouveau nous sommes spectateur d'un refus de la mixité voir à certains moments de manifestations assez brutales de sexisme.
Quelle est notre place éducative sur ce sujet ?
---
Jeudi 26 février
Séance de tournage dans la cour de récréation Une classe et demie, environ 35 enfants, qui dans la cour sont des gamins, des toupies, des électrons, des cris des chutes, des vexations, des refus. Francesca met en place le mouvement, le "passage", le jeu de cour qui devient danse, le geste évocateur. Il est question de vol d'oiseaux, de bancs de poissons, on bascule dans l'imaginaire, les enfants entrent dans le jeu appliquent, les consignes sauf…un ou deux pas plus de trois.
Maxence intervient, il bouscule, son rôle d'éducateur : consigne appliquée ou pas, sanction ou pas. Le but : intégrer celui qui est dans le refus systématique, celui qui veut exister contre. Sa posture est parfois perçue comme plus gratifiante par celui qui construit dans le collectif.
Par l'absurde on perçoit la posture déviante comme plus créative. Injustices? Et pour l'artiste il est pris dans tous les intérêts croisés, il suit son chemin, lui seul le connait, il se tisse au fur et à mesure qu'il calcule ses possibles, qu'il appréhende la réalité. Il peut prendre le rôle du pédagogue, instructeur civique, éducateur comme une entrave.
Dans notre mission je pense qu'il n'en est rien. J'ai coutume souvent de replacer ma pratique artistique dans une dialectique de libertés/ contraintes. Ici je pense que c'est comme cela qu'il faut l'entendre: ces "interférences" il faut les lire comme donnant du sens au propos artistique.
Pour revenir sur l'idée qu'il faut être prudent - sur le fait de ne pas induire que pour être pris en considération dans le groupe il faut (forcément) être dans le déviant - je voudrais m'arrêter sur le fait que pourtant… La démarche créative n'est elle pas dans la déviance? Le fait de dévier, de trouver d'autres voies d'autres chemins est le fondement de la créativité.
Alors il faut construire le discernement entre l'acquisition d'un langage, d'une pratique artistique qui intègre la notion d'apprentissages et la démarche créative qui sera portée par ces compétences.
Péri scolaire… énième réunion
Péri! scolaire
Péril scolaire
Péri féérie
question de langage
éducatif…non!
ah! loisir éducatif!
loisir.
question de langage
On se trimballe le vide de sens, de contenu de la réforme. Nous "arrivons" avec une proposition : découverte d'autres univers musicaux, d'autres manières de pratiquer les matières artistiques que celles déversées à longueur d'antennes paraboliques ou non des réseaux commerciaux. Et nous sommes perçus comme des "colons de l'intérieur" toutes tentatives de proposer une culture musicale de type répertoire "classique" est perçue comme un dénigrement de la culture du territoire, une stigmatisation, un rejet. Le poids de l'institution du pouvoir contre la culture qui se construit seule dans la rue: bien sûr.
Pourquoi pas du Hip-Hop?
ben oui pourquoi pas…
négation, refus
Mozart a t-il vraiment existé? Alors pour contourner l'obstacle on parle du comment : co intervention, organisation des ateliers, place de chacun…. mais sans avoir résolu la question du quoi : qu'est-ce qu'on fait?
Et je pense qu'il va falloir revenir à des petites choses préliminaires, pour reconstruire : comme le qui? Qui sommes nous, nous artistes qui travaillons avec ou sans l'institution, avec ou sans le "système" avec ou sans moyens ?
Nous passons de l'orchestre qui campe souvent sur l'excellence et sa pratique, aux enfants qui soutiennent que la musique se résume au Hip-Hop : difficile d'exister sans être sectaire…
Reprendre
Reprendre avec de petites choses, jouer de la musique "en vrai", danser avec une pensée…
Nous sommes Sisyphe.
De quoi sommes nous venus discuter?
D'affaires de goût, de perception, de plaisir, de bien commun…
Nous n'existons, nous ne sommes au monde que dans l'épreuve de l'autre, c'est sur ce précepte que se fonde ce projet. L'art est une présence au monde en perpétuel devenir, s’il « bug » sur un mode unique, un seul langage, il "n'est" plus, il n'incarne plus rien, il se déconnecte de son réel : celui qui l'a construit.
Il devient anachronique. Il faut "disputer" des goûts et des couleurs, c'est là que nous créons, nous cherchons des voies, des chemins. L'homme qui ne cultive qu'un goût est une sorte d'incrédule, il ne croit pas à la surprise : unique loi des arts modernes, de leur temps et qui passe le temps.
Nous devons donner la possibilité aux enfants de développer leurs outils perceptifs, qui sont contraints et asséchés par la proposition commerciale.
Celle-ci en matière musicale contraint le temps (formats radiophoniques courts), le langage (musique esclave de la pulsation) et souvent seule "décoration" d'un discours.
Nous vivons pourtant un temps inédit dans l'histoire de la musique, une époque où il existe une réelle coexistence (co/création) entre les musiques dites actuelles et la musique savante, entre la musique populaire et la musique écrite. Une vraie interpénétration entre les différents processus créatifs.
En témoigne le fait que de nombreux compositeurs de musique savante ont eu une expérience des musiques actuelles ou les ont pratiquées. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'à l'heure actuelle des DJs se revendiquent comme maître à penser Pierre Henry, voire Karlheinz Stockhausen (qui fut pianiste de jazz dans les bars), chefs de file de la musique électro acoustique. Un demi-siècle sépare l'invention des uns de la réussite commerciale des autres...
Donc pour ouvrir les enfants à la création musicale et sa diversité il faut repartir de choses simples et en particulier leur apprendre à écouter le monde, refaire le chemin…
Comment peut-on imaginer la musique ?
---
18 mars
Voilà donc si l'on suit le raisonnement : connaître et reconnaître pour mieux aimer: Nous développons des "habitudes d'écoute" qui nous familiarisent avec des styles musicaux ou plutôt non: des sons, un univers sonore (le compositeur est un explorateur du domaine sonore) cela nous familiarise avec lui et nous permet d'en conclure que nous "l'aimons". Qu'est-ce qui intervient dans cet "amour"?
Une compréhension… Prenons le modèle de la compétition sportive : si on regarde un match de rugby sans connaître les règles rapidement nous allons nous ennuyer. La compréhension va nous permettre de mieux apprécier le spectacle. La musique agit aussi avec "l'ayant été entendu" ce qu'on connait on l'aime mieux. Lorsque un enfant dit : "j'te connais pas toi" il y a une part de "je ne t'aime pas". Donc, voilà le processus: développer des habitudes d'écoute.
Sinon pas de Sacre du printemps, de Pierrot lunaire ou de Concerto à la mémoire d'un ange que du…reste (les médias se chargent bien de développer les habitudes d'écoute).
---
…Un peu plus tard le 18 mars…
D'ailleurs dans la création la présence du public ne change pas la valeur de l'oeuvre, sinon il n'y aurait pas de Nuit étoilée de Vincent Van Gogh …
La présence du public change la valeur marchande que l'on confond trop souvent avec la valeur artistique. Nous devons en tant que service public diversifier les propositions. Ne réduisons pas les horizons qui par leur inaccessibilité créeront de la désespérance.
Il faut montrer que le monde est ouvert de manière multiple. Si nous parions sur les cent langages de l'enfant il faut se garder de les contraindre.
---
Vendredi 20 mars
Jour de l'éclipse solaire!
Les élèves sont sensibilisés à ce phénomène d'astrophysique… Bref, on veut éviter qu’ils se crament les yeux. J'en profite pour évoquer les liens qui peuvent exister entre la musique et les sphères : Kepler et "l'harmonie des sphères" : théorie selon laquelle l'univers était organisé selon des lois musicales. "Harmonia mundi" : la musique est associée aux mouvements elliptiques des planètes (intervalles). Et : Le noir de l'étoile de Gérard Grisey
et Jean-Pierre Luminet : un musicien et un astrophysicien s'associent pour créer une oeuvre qui connecte à nouveau l'évènement musical sur le monde en faisant dialoguer les pulsars (métronomes cosmiques) et les percussions.
---
Jeudi 26 mars
Enregistrement de "Yasmine" et "Rinor"
Je me dis qu'il n'est pas besoin de beaucoup de notes pour faire de la musique, pas besoin de beaucoup de mots pour composer un poème, mais qu'il faut toute sa sincérité. Nous étions aujourd'hui réunis, d'horizons différents, origines, de classes sociales disparates, couleurs de peau, façons de marcher, comment tu parles, tu crois en quoi, tu crois pas, tu manges quoi. J'ai vu des petits, des grands, des regards qui se tournent vers moi et qui explosent en constellations, et tous réunis dans une même émotion quand le dernier accord disparait dans le ciel du studio des choeurs ça fait:"ouah!…"
Tous à l'unisson dans cette architecture, à l'unisson des sentiments, chacun avec sa propre voix: le partage.
Ce que joue la musique, ce que dis l'ineffable.
Et malgré nos certitudes qui ont eu à surmonter bien des adversités. On se redit qu'il faut donner l'excellence pour se retrouver, avoir l'écoute, l'adhésion. Devant l'évidence esthétique les coeurs, les oreilles et les yeux s'ouvrent : éberlués. Dans l'accomplissement de ce but ultime et primitif (premier) : tout le monde joue, chacun participe à la construction de ce bien commun dans la symbolique de la rencontre entre le vivant et le savant, le populaire de transmission orale et l'écriture.
Il me plait de penser que mon travail musical concoure à rassembler à créer ces instants précieux d'échanges, de partage.
---
Le 9 avril
Enregistrement de "Ploc! ploc! Ploc !", de "Rinor" version quatuor, de "Stylos quatre couleurs" partie A et des variations sur le thème de "La Petite Cantate" Le quatuor constitué pour l'occasion nous a donné à entendre une profonde beauté, vraie : celle qui ne se livre pas au premier regard mais qui se révèle petit à petit avec exigence et en fixant l'oeil avec un regard appris. Je voudrais transmettre cette curiosité et la patience qui accompagne la découverte, la gratification par l'art.
Enseigner c'est créer des liens pour libérer.
---
Aux alentours du 20 mai
Je commence à penser à un bilan de cette saison 2014/2015 tout en sachant qu'il reste du chemin pour aller au bout : la séance d'enregistrement du 1er juin prochain et d'autres étapes importantes de finalisation de la production de ce premier acte de "Jour d'école". Esquisses d'un bilan "Des artistes à l'école"
Améliorer/modéliser
Cette année -dans un souci de continuité avec le projet précédent- l'objectif était de poursuivre le chemin pour la reconquête du champ artistique à l'école : comment sensibiliser
les élèves aux pratiques artistiques qui sont un apport considérable dans les apprentissages ?
Nous partons du principe que nous croyons à la "…nécessité de l'éducation au jugement de goût pour que le plaisir puisse advenir vraiment…" Onfray
Bref…on aime mieux quand on connaît.
Notre affectif se forge entre connaissance et re/connaissance. De là naît la jubilation esthétique, et la jubilation cognitive où se construit l'estime de soi.
Donc l'idée est d'éveiller les esprits à être curieux du monde sonore et imaginaire qui peut surgir du cerveau d'un compositeur, en deux mots: devenir mélomane. Dans cet exercice de pédagogie deux regards semblent s'opposer: D'un côté un principe fondamental, celui qui consiste à découvrir avec l'enfant, à ne pas imposer, à inventer à partir de ses centres d'intérêt, de ses préoccupations pour mieux l'ouvrir. Pas une pédagogie du maître et de l'esclave, mais de la curiosité de la recherche collective.
De l'autre la volonté de confronter les enfants aux grandes oeuvres du répertoire pour aboutir au fameux choc esthétique. Cependant "jamais un coup de dés n'abolira le hasard"…
La proposition de cette saison autour des collectages avait pour objectif de réconcilier et d'associer ces points de vue:
Ceux du présent et du passé dans une dynamique commune, pour donner à chacun l'opportunité de vivre dans sa chair la reconnaissance par l'esthétique, la valorisation d'une identité par l'art, la consolation par la musique. Les enfants ont donc été sensibilisés à la technique du collectage utilisée par de nombreux compositeurs. Et la pratique qu'ils ont eu de cet échange nous a permis de les ouvrir à une généalogie: quelle histoire des arts autour de cette pratique que tu viens d'expérimenter? Ton identité intime à l'épreuve de l'histoire, l'art comme outil pour comprendre la différence et sa richesse.
Ces collectages ont servi de matière première à la création musicale: "L'oeil capte la vision fugitive, esprit entend et coeur chéri". Cette description de l'acte de création par le peintre Rouault relate le processus. Les enfants découvrent cette création notamment à travers l'oeuvre Folk songs de Luciano Berio et la 1ère symphonie de Gustav Malher qui contient le thème "frère Jacques" et des
motifs populaires.
Le programme musical a donc été construit autour de ce dialogue toujours renouvelé entre les musiques dites populaires de transmission orale et les musiques dites "savantes" qu'il conviendrait mieux d'appeler musiques "artistiques" produit du travail d'un artiste qui construit un langage musical propre, car les musiques populaires ont leur propre science et codes. Chaque collectage a donné lieu à une recherche autour de l'univers proposé:
L'isopolyphonie albanaise à partir du collectage de Rinor, Les Noubètes (pièces musicales issues de la tradition arabo-andalouses) à travers de nombreux collectages d'inspiration maghrébine, le dzendzé, cithare des Comores (appelées les "îles de la lune") à travers le collectage de Nadhir, l'univers d'Olivier Messiaen à travers le collectage de Nazli…Autant d'histoires nourricières et stimulantes pour l'imaginaire.
L'art est accueillant, il ouvre les bras : la part spirituelle intime de chacun ne doit pas être vécue comme une blessure avec laquelle nous avons à compatir mais comme une richesse avec laquelle nous pouvons partager.
---
Et voilà, samedi 29 aout, l'été l'était passé, comme aurait dit ce cher Claude… Et nous revoilà face à toutes nos interrogations avec les mêmes questions… En y repensant... La question de l'origine et celle de l'ouverture à l'imaginaire, de la reconquête (cet exercice de l'esprit qui consiste à "imaginer" le réel) sont intimement liées. Car la question universelle est: "Comment tout cela a t-il commencé?" (la première vague qui balaie le littoral, l'origine de la vie, la cueillette des oeuf de pâques, le premier rayon de lune, la première apparition du loup dans le collège?...).
Comment se créer, s'inventer son propre chemin, entre rêve et réalité. L'origine comme fable originelle et ce qu'on en fait : les chemins que l'on croise et son propre sillon que l'on creuse. Alors le souffle du corniste gonfle les poumons du danseur, les mots remplacent les maux, "le porte plume redevient oiseau", les mots dits sont des mots dés, il faut aller de l'avant. La porte a été ouverte. Toujours s'interroger : d'où vient-on et où le désir nous guide t-il ? Aller et revenir (comme dans l'Odyssée).
Interroger : car toutes les réponses, inépuisables, sont dans le réel et l'oeil qui le questionne. C'est Paul Klee qui disait en s'interrogeant sur la peinture : "Atteindre au delà de la forme le mystère même de l'être", mystère de l'origine de la naissance...
Donc l'art comme quête toujours recommencée qui ne vaut que par son caractère inachevé. La porte a été ouverte. Il faut aller de l'avant, la quête commence : Besoin de savoir.
L'art contient l'idée d'origine et de devenir :" le porte plume redevient oiseau". Revenir :"la vitre redevient sable". Une manière de chercher, de creuser : celle de l'artiste, celle du détective...
Cet été lorsque je travaillais sur l'ouverture et cherchais à écrire les premières lueurs du jour, je bloquais un peu sur la stylisation que j'en faisais dans l'écriture musicale... Alors un matin, très tôt, je me suis assis au bord de mon lit et j'ai écouté... enregistré... toutes les réponses étaient là, j'en avais plein les oreilles. De la même manière que je tiens à ce que chaque pièce soit imprégnée de la rencontre qui la précède (le processus auquel vous faites allusion Catherine et Tristan) je pense que l'art doit être éclaboussé par le réel par la vie, par la nature.
---
Fin septembre écrire les premières feuilles de l'automne Une idée m'occupe l'esprit autour des concepts d'origine, d'identité, de vivre ensemble.C’est le thème de la reconnaissance qui pourrait avoir des vertus de re(con)naissance. Il faut travailler sur la reconnaissance. Utilisée dans l'écriture musicale comme procédé pour accompagner l'auditeur dans son écoute, comme intégration à l'oeuvre. Comme lorsqu'on se reconnait sur la photo de groupe, là on fait partie du groupe de la même manière que lorsqu'on reconnait le thème on fait partie de l'oeuvre, on se l'approprie, on la reconnait et à ce moment se créent des habitudes d'écoute, le son devient familier, jubilation sensible et cognitive.
La reconnaissance est un principe fondateur de notre lien social : se reconnaître dans l'autre dans quelque chose, être reconnu.
Un peu plus tard, les arbres sont à poil maintenant… pourtant les mouches n'ont pas encore compris que l'été est fini, elles profitent de l'absence de ruban piège pour se faire un petit baroud d'honneur.
Au contact des enfants je comprends que la poésie c'est aborder le monde avec les cinq sens, comme au début, là où tout a commencé : une genèse, et fabriquer des mots pour le dire (comme "endorme toi"). Une parole des origines. La poésie c'est venir au monde, nu, la parole des origines, avant que la sensation initiale ne disparaisse dans la conscience, que nous oubliions cette condition humaine première. La pluie, tant attendue… elle m'emmerde quand même, si ce n'est son odeur lorsqu'elle cesse.
La Honte comme personnage de l'histoire refait sont apparition dans le début de l'acte deux. A l'époque baroque elle aurait été une allégorie comme la musique qui apparait en personne dans le prologue de l'Orfeo. Les enfants sont éduqués à l'erreur et nous allons le voir ils pensent que l'erreur c'est eux par rapport à une norme.
J'essaie de leur faire entendre que l'erreur c'est la surprise, ce à quoi on ne s'attend pas. Je leur dit l'erreur oui c'est vous, ça doit être vous même, uniques, imprévisibles. "Errare humanum est" c'est ça que ça veut dire : l'erreur c'est une manière de se dévoiler, d'oser être soi-même, d'être humain. Jacques Canetti grand producteur dans le domaine de la chanson veillait à ne pas gommer certaines "erreurs" fausses notes en précisant : Human touch!
Ce qui souligne le geste sensible humain. Je leur dis: "Ce qui m'intéresse c'est toi avec ce qui te distingue des autres et que tu nommes
erreur alors que c'est de ton identité qu'il s'agit".
Aujourd'hui je suis en colère. On essaie toujours de monter les gens les uns contre les autres, les artistes les uns contre les autres, on connait l'adage : "diviser pour mieux régner". Alors je me dis que l'art c'est comme un balai à chiottes ça sert aussi à ramasser la merde là où elle reste accrochée.
Cette rentrée est marquée par le drame des migrants. Nous, face à beaucoup d'entre eux au collège : guerres de Bosnie, Kosovo, Afrique…
Il faut relire Levi Strauss, il n'y a de vrais progrès culturels que dans le dialogue des cultures, la diversité est une richesse.
J'entends Tobie Nathan à la radio dire que les migrants sont les "Ambassadeurs d'un monde nouveau".
Je me dis aussi que souvent je préfère migrer en moi-même hors du monde.
Que nous sommes tous les migrants de nous-mêmes dans un monde sans places.
Et les oiseaux alors? Les oiseaux…….
 
Premiers collectages de la saison 2, il faut prendre le temps… Je commence à travailler sur l'écriture, et j'étais sur un thème, celui de Mirela, Tzigane et pas Gadji (ce qui veut dire non-Tzigane). Do Majeur, une mélodie très caractéristique et quelque chose me chiffonnait …D'accord, c'est ça, on entend bien la mélodie, la musique, mais je n'entends pas le souvenir…il faut y travailler.
Détours…
---
Jeudi 8 Octobre : concert à Perpignan avec Roberto Negro , Elise Caron … gare, le quai, ceux qui passent devant, et puis trouver une place où poser la contrebasse. Le paysage: une photo floue qui se débobine et puis la mer, d'abord les lacs avec les flamands roses, les mouettes et les cuves, les barils, les silots après on arrive au Théâtre de l'arc en ciel. Soirée avec Philippe Torreton, on parle d'art à l'école, du projet, il me dit qu'il connait une belle initiative à Périgueux, une association nommée "didascalies": ne pas oublier de taper
didascalies en rentrant pour connaître cette proposition.
Je me lève, je pose mon stylo, et marche jusqu'à la cuisine pour me servir un café, je me rassois...
---
19 octobre
Reprises des séances d'enregistrement, on y est, avec l'orchestre, on va enregistrer l'ouverture, ce qui précède le lever de rideau, la pièce que l'on écrit en dernier: un résumé pour commencer. D'abord désordre absolu, qui souvent préfigure de grandes choses.
Coups de fil, pas au courant, combien de cordes?, étonnement, absences, mécontentement, refus. Il faut prévoir autant que possible, après...voir.
Donner son avis, chacun y va. Ecouter. Encore de l'humain ("humant touch" ne pas oublier) c'est l'essentiel, il se manifeste, s'oppose, et puis vient à la rencontre, s'étonne. L'étonnement il faut en parler.
C'est sûrement de mes détours jazzistiques que je tiens ça: la manie de l'instant, le goût du "nunc stans", l'éternité de l'instant, j'ai du mal à m'en départir, je veux être dans cette tension, toujours, créer l'imprévu. Là j'envoie cinq jours avant le jour j une pièce supplémentaire pour ensemble de cordes:
Pas possible, pas moyen..
Dans l'attente de la séance je ne fais que ça: contourner ce qui est écrit, chercher à savoir ce qu'il a à dire l'instant, je m'emploi à lui trouver une place. Je sais, j'agace les prévisionnistes de toutes sortes.
J'ai envie de demander à Carine d'improviser dans le thème à 7/4, je demande au percussionniste de retourner sa caisse claire pour chercher des combinaisons libres entre le timbre et la peau: Je veux être surpris.
---
Jeudi 22 octobre
Séance de dérushage, des échanges sur l'imagination: "c'est ce qui nous sert à construire notre avenir... il faut l'imaginer et y croire... c'est important l'imagiation".
Je suis aujourd'hui comme chaque jour traversé par la question de l'origine. Je sais que cette question est multiple pour moi et pour tous. Pour moi c'est un pont suspendu dans ma mémoire: le pont d'El Kantara à Constantine que ma grand-mère me racontait. Un pont suspendu au bout de ses lèvres et de son regard bien mieux dans mes rêves que dans la réalité. Nous sommes le produit d'une histoire.
Quel sens prend le mot origine lorsqu'il vient percuter le bitume de Vénissieux et qu'il se diffracte
en une multitude de senteurs, sonorités, langues, traditions.... Je suis sur la piste de l'origine.
La seconde allégorie de notre jour d'école.
Je repense à Oedipe, à la recherche de l'origine, et du coup je reprends le fil de ma réflexion sur la reconnaissance et je me souviens de la définition de ce principe dans la mécanique de la tragédie décrite par Aristote dans la Poétique : La reconnaissance au théâtre, définie comme "le
renversement qui fait passer de l'ignorance à la connaissance". Passer de l'ignorance à la connaissance, prendre au pied de la lettre, apprendre à mieux connaitre pour comprendre, être dérangé par un art qui pose des questions, qui impose de nous en poser, fonction de l'art qui mène à une reconnaissance.
J'entends prolonger ce principe de reconnaissance dans le film : Le détective déterminé au début par sa seule fonction d'élucider ce qui trouble l'ordre au sein de l'école va se reconnaître dans ces enfants et leur diversité et va passer d'une ignorance de cette réalité à une connaissance : celle de cette parole neuve face au réel, cette poésie : l'autre regard qui leur permet de reprendre la parole avec des "mots nouveaux".
---
Lundi 2 novembre
C'est un beau début d'après midi, après l'entrée en classe la cour se tait au soleil.
Cynthia passe au tableau (...............................). Elle va écrire le texte de son chant au tableau pour que nous puissions travailler la prosodie et écouter la musique de ses mots. Elle se déplace le long du grand tableau qui recouvre le mur du fond de la salle de classe. Et petit à petit c'est comme une métamorphose, le corps articulé, rythmé par la langue. La grâce de l'identité. L'identité retrouvée, réunifiée. L'instant d'avant: identité morcelée, le corps de l'autre côté de la mer, la mère de l'autre côté de l'oéan... "Je suis l'ainée, ma maman elle est pas ici, j'suis avec mon père et ma belle-mère...on parle dan notre langue...j'ai un petit frère l'autre il vient de décéder y'a pas longtemps... j'suis née là bas au Congo... ouais trop bien... en Lingala... elle raconte c'est une jeune il était abandonné avec ses parents et après il a commencé à prier, après Dieu il a fait des choses dans sa vie, c'est pour ça qu't racontait sa vie..."
 
Elle parle le Lingala Kinshasa, les mots qui scandent le corps, c'est une langue équilibrée, colorée, on en cueille les fruits jusqu'à la sonnerie de la récré, une langue qu'on savoure comme une mangue.
J'avais déjà souligné l'importance de la langue dans la pratique du chant : banalités. Mais quand même : à quelle point elle intervenait chez les enfants dans le placement de la voix, dans le potentiel vocal. Langue maternelle à la source du chant. L'enfant parfois mutique, sonnant faux dans sa langue d'adoption, déploie la phrase musicale, juste, cohérente, dans le son de sa langue. C'est un tout qui réunit timbre, échelle musicale, justesse, articulation, nuances : d'un bloc. Je cherche dans ma musique à peindre les strates des souvenirs, une épaisseur, superpositions,
textures, compressions, étirements, amalgames. Sons et mots mêlés, réminiscences, comment traduire ce flux qui s'impose à notre conscience.
---
Mardi 3 novembre
J'envoie une note pour communiquer sur mon travail de collectage: " Collectages Qu'est-ce que le collectage?, il s'agit d'une pratique qui consiste à récolter les chants et la musique d'une communauté donnée ou d'un lieu donné par une personne dont la vocation est de constituer une collection plus ou moins exhaustive de matériaux (textes et mélodies notamment) destinés à être classés, catégorisés, archivés, analysés, popularisés ou encore utilisés comme source d'inspiration pour de nouvelles compositions musicales. Le collectage pourrait donc être comparé à une cueillette qui nous conduit à rassembler des héritages du passé, à échanger, à se connaître. Bélà Bartók, Leos Janacek, Ludwig Van Beethoven, pour le domaine du conte les frères Grimm furent des collecteurs célèbres.
Dans ma pratique le collectage sert avant tout de " passe-partout " de "sauf-conduit " pour accompagner les enfants sur des chemins de la création musicale qui leur semblent inaccessibles ou éculés, poussiéreux. Ce signe de reconnaissance que constitue le son, l'air, la parole qu'ils me confient dans nos échanges concourt au dialogue des cultures qui est selon Lévi-Strauss le seul facteur de progrès. Les enfants sont guidés par leurs propres voix dans les sonorités étranges de l'orchestre classique à la rencontre d'un univers qu'ils méconnaissent."
---
Vendredi 6 novembre
Aujourd'hui je décide de me replonger dans le scénario et de faire connaissance avec ces personnages et tout ce qui survient à notre insu.lorsque l'oeuvre prend son autonomie. J'ai dit à Mme Cosentino qu'elle serait un des personnages principaux, pour une principale, ça lui a plu, elle jouera son propre rôle, la consigne est d'être elle-même. Elle essaiera. Pour la dame de l'accueil nous écoutons Nadia, la dame de l'accueil, elle est plus vrai que nature, toutes les dames de l'accueil qu'on peut imaginer autoritaire mais pas trop, tout, une palette incroyable, dame de l'accueil ni trop, ni pas assez.
Le personnage du détective mène des interrogtoires... il se sent à contre emploi dans cette affaire il n'entrave pas grand chose à une affaire de "bouffées artistiques collectives" comme des bouffées de joies à "contr'angoisse". Il est au début de l'action déterminé par sa fonction sans trop y croire, machinalement, il applique les protocoles. Petit à petit il va se reconnaître dans les enfants: c'est le processus du récit. Placé en face de l'Homme Mystère qui lui est le metteur en scène, l'art qui dérange, celui qui pose les questions de l'origine, de l'identité, qui rassemble le puzzle. Placé en face de lui il se retrouve à son tour en situation d'interrogatoire. Les rôles sont inversés, il se retrouve être celui que l'on
interroge. Placé dans cette position, il va lui même se poser la question de l'art qui résonne en lui, son origine, ce qui le motive. Comme pour chacun sa quête se situe entre ses origines et son devenir qui ne vont pas l'un sans l'autre. Comment devenir si l'on ne sait pas d'où l'on vient.
Identité multiple.
Nous sommes dans cette démarche, tous les détectives de nous-mêmes en train de démêler l'affaire de notre origine. Qui suis-je? Entre mémoire et quête d'identité, le détective comprend que l'art contient cette part interrogative sur la vie entre origine et devenir.
CARNETS
Accueil / Carnets / Journal de bord
Nicolas BIANCO
contrebasse, composition
création de spectacles pluridisciplinaires
Nicolas BIANCO
contrebasse, composition
composition de spectacles pluridisciplinaires