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L'artiste acteur de l'action culturelle
Nicolas Bianco
 

Comment vivre sans inconnu devant soi ?
René Char
 
La pédagogie est un art, j’en suis convaincu. Mais mon engagement d’artiste et de musicien dans un projet d'action culturelle, au cœur même du monde de l'école, m'a également montré tout ce que l’art peut apporter à l’éducation. Qu'avons-nous à transmettre aux enfants : le goût de la découverte, l’envie d’explorer ce monde infini et de le faire leur, avec leur cinq sens et par la pratique artistique. Ou, pour le dire autrement : apporter la connaissance et la reconnaissance qui mène, par la jubilation cognitive, à l'estime de soi (comme dans un petit motif de Mozart qui revient…) ; offrir l’occasion de vivre dans sa chair cette reconnaissance par l'esthétique : la consolation et la joie par la fréquentation des œuvres, et plus encore là où l'art est souvent considéré comme un faste inutile ou perçu comme contraire à la notion de bien.
Ce disque est la chronique musicale –  sous la forme d'une suite rhapsodique – de la première saison de Jour d'école. Ce projet que nous portons, avec les danseurs Francesca Mattavelli et Benoit Caussé, trouvera sa finalité dans un documentaire lyrique et chorégraphique auquel contribueront les vidéastes Catherine Demeure et Tristan Castella et la musicienne Carine Bianco.
C'est un jour d'école à la Prévert que nous proposons de parcourir de l'aube au crépuscule, un jour où nous partons à la reconquête des champs de l'imaginaire, de la pensée buissonnière, de l'art du détour.
« Et l'oiseau-lyre joue
et l'enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s'écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l'encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.1 »
Un jour d'école parcouru par des échappées poétiques au cœur du réel. Cette saison le principe de base de la pédagogie musicale était de s'émerveiller, de découvrir avec l'enfant, d'inventer à partir de ses centres d'intérêt, à partir de lui même. C'est pourquoi j'ai voulu travailler sur la base de collectages effectués individuellement, ainsi qu’à l'écoute des sons de l'école. Alors, une fois rompues les carapaces sociologiques et l'identification au groupe, nous entrons au-delà de la surface des choses, dans les profondeurs du souvenir et de l'origine, des affects et du sensible ; et les enfants vous confient des sons, des fragments, des chants intimes. C’est alors que commence mon travail d'écriture, façonné par l'échange, avec ce qui est au cœur du jeu et de l'enjeu de la composition : que faire de la vision fugitive, du fragment, du motif ? Exposition, développement, variations, transformation ?
Faire se superposer l'éphémère (le collectage, l'improvisation) et le durable (l'écriture), en les rattachant à une généalogie : analyse du processus de création des compositeurs, écoute et pratique d'oeuvres du répertoire avec les élèves (les Folk Songs de Luciano Berio, Mahler). L'artiste, ancré dans le réel et dans son présent, s’inspire du passé et part de lui pour innover. Le programme de l'année s'est construit autour des liens qui unissent musiques vivantes et musiques savantes, la tradition populaire de transmission orale, et la musique écrite qui développe un langage propre.
En partant de leurs propositions, les enfants ont approché le répertoire. Mais, armés de notre curiosité, nous avons aussi découverts côte-à -côte, ici l'isopolyphonie albanaise à partir du collectage de Rinor, là le dzendzé, cithare des Comores en s'intéressant à la mélodie de Nadhir, et aussi les noubètes pièces musicales de la tradition arabo-andalouse. Le collectage n'est pas une décoration folkloriste mais puise sa richesse dans sa force d'évocation de la mécanique du souvenir : il souffle ici un air de narration.
Puis nous avons réalisé les enregistrements de ces pièces avec les artistes de l'Opéra de Lyon et des artistes invités dans des conditions professionnelles afin de donner le meilleur. Il ne faut en effet pas tricher avec les enfants, ces actions n'ont de valeur que dans l'exigence artistique.
Par ce travail, les enfants apprennent la richesse de la différence dans le collectif, la place unique de l'individu dans le groupe, et que la musique  est à la fois une et multiple comme l'humanité.
Nicolas BIANCO
contrebasse, composition
composition de spectacles pluridisciplinaires